Mais
quel est donc cet étrange concept qu’on nomme avec assurance la
normalité?
On
pense bien à tort que le terme « normal » veut dire
adéquat et correct. On croit que ce qui est normal est approuvable
et approuvé à coup sûr. Ce qui est normal serait donc le concept
ou la marche à suivre aveuglément. En fait, normal veut dire « qui
est conforme à la norme » et la norme, c’est le standard
créé par la majorité des individus. La normalité serait donc le
dénominateur commun qui rallie le plus de monde, par rapport à un
point de référence, sur un sujet donné. Une chose est normale
quand elle correspond à ce que le plus grand nombre accepte, trop
souvent même juste par habitude et sans remise en question ou
réajustement occasionnel.
Donc,
par opposition, ne pas être normal, ne veut pas dire être incorrect
ou avoir systématiquement tort. Ça veut tout juste signifier que
l’on diffère de la majorité. Pourtant de nos jours, ne pas être
normal est une insulte qui fait longer des murs de plâtre défraichis
et ronger avec rage des moulures de porte en bois sculpté. Car
attention, il faut avant tout éviter que le pied gauche ne dépasse
de la double ligne rouge admise, sinon c’est le sifflet réprobateur
de l’arbitre qui retentit. Et se démarquer négativement, il faut
l’éviter par tous les moyens possibles.
La
société veut plus ou moins forger tout le monde sur un modèle
semblable et des critères précis concernant ce qui est acceptable.
C’est une entité tentaculaire qui s’agrippe à toutes les
sphères de notre vie. Mais n’est pas normal qui veux. L’effort
demande un réajustement pointilleux et constant des personnes
concernées. Ainsi que beaucoup de précieuse volonté. À chaque
jour, des individus inquiétés de leurs réactions propres et de
leurs plus intimes émotions posent autour d’eux d’importantes
questions, la lèvre inférieure tremblotante : « Suis-je
normal? », « Quand ça vous arrive, vous faites quoi vous
autres? », « Qu’est-ce qui est normal, dans ce cas-là ?
», « Si je choisis le bleu au lieu du vert, est-ce que je vais
paraître anormal? ». Et j’en passe. On ose parfois, dans
l’oubli de ma différence physique et la différence des
connections des neurones de mes enfants de me poser la question comme
si j’étais une référence potentielle en la matière. En vérité
je vous le dis, un grand nombre d’individus autour de vous galèrent
sans arrêt pour demeurer dignement dans la norme. Plusieurs
passent peut-être tristement à côté du sens profond de leur vie,
le besoin du normal empêche peut-être chacun d’être lui-même et
de se questionner sur ses besoins propres.
Mais
pourquoi autant de coups énergiques de pagaie ou de foulées fermes
avec des chaussures griffées de coureur de fond sont-ils aussi
nécessaires pour demeurer dans cette étouffante normalité? Bien
sûr, les gens se réconfortent dans le moelleux divan de velours
rose antique de la normalité. Elle permet de s’identifier à ses
semblables, d’éviter le jugement et le rejet. Elle permet
d’appartenir à un groupe approuvé et certifié du sceau de
l’excellence c’est à dire de suivre les codes et les normes
acceptés. La normalité donne des barèmes et permet à l’individu
de savoir le comportement attendu à adopter, les valeurs profondes à
intégrer, les objets à se procurer pour projeter une certaine image
souhaitée et les statuts sociaux qui sont à privilégier.
Quand
n’importe quoi pourrait être la norme, finalement
Mais
arrêtons-nous un bon 10 secondes. Pas plus. Juste pour y penser un
petit peu. Donnons-nous un exemple extrême pour frapper l’imaginaire
une bonne fois pour toutes. Imaginez que la majorité des gens
mangent leurs kiwis avec la pelure comme on le fait avec bon nombre
de fruits. Alors, pour tous, manger un kiwi en conservant sa pelure
intacte serait sans questionnement l’immuable normalité.
L’individu qui par un beau jour ensoleillé en plein pique-nique
familial pèlerait soigneusement son kiwi au vu et au su de tous
serait tout de suite pointé du doigt avec indignation et jeté en
pâturage aux lions. Ce serait la grande hérésie et le chaos total
dans les chaumières. Déballer le fruit exotique avant de mordre
dans sa chair serait absurde et anormal.
Bien
sûr, ce serait un comportement qualifié sans hésitation de
déviant. La personne serait questionnée, taxée de gaspilleuse,
passerait pour excentrique. « Tu jettes le meilleur! »,
lui dirait-on avec le plus grand naturel du monde. Je sais et je
l’avoue sans crainte, l’exemple est manifestement farfelu. Mais
bon nombre de situations, comportements ou paroles jugées normales
le sont évidemment tout autant. La norme n’est pas toujours
logique. La norme est créée par l’usage. Un usage dont souvent on
ignore même l’origine.
Acceptable,
le normal?
Pourtant,
le normal devient l’idéal de vie, l’accepté et l’acceptable.
La normalité actuelle quand on la regarde objectivement, est
pourtant souvent cruelle, sombre et injuste. Elle est faite
d’indifférence à l’autre, d’individualisme, d’incompréhension
mutuelle et de rejet sans appel de ce qui dérange. La normalité est
imparfaite de manière insultante : elle supporte les guerres en
disant que les peuples ont toujours agit ainsi en cas de malentendus
considérés insolubles. J'aime les films historique, tout
particulièrement la traversée du peuple noir, j'ai regardé 12
years a slave et Mandela et je trouve abérant de traiter ces
personnes de « nègres » et de les avoir fais esclaves,
et Mandela, un grand homme, il pardonné et a appris le langage de
ses bourreaux pour mieux les comprendre,
Nous
portons tous une différence visible ou pas, pourtant il semble
qu’il y ait des individus qui sont des « accros à la
normalité ». C’est-à-dire que dès que quelque chose
déroge de la norme connue ou qu’une parole ou une blague n’est
pas selon le modèle de base familier, ils vont souligner toutes
nos différences comme autant de fautes dignes de la peine de
mort. La discrimination envers l’individu différent, son
exclusion, sont alors au rendez-vous. Ces individus font sentir
les personnes « divergentes » comme autant d’êtres
vivants incorrects et à bannir d’un simple balayement du revers
de la main. Ils s’accrochent au moule de la normalité, comme à
un livre de saintes paroles, sans la moindre nuance possible.
Hors
du moule de la normalité, point de salut?
La
norme admise n’est écrite nulle part, sauf dans quelques rares
domaines. Mais dans le petit quotidien, les panneaux indicateurs
se font rares. La normalité fait partie de l’implicite, de ce
qui est transmis par osmose aux individus perméables. Et y
déroger coûte cher à tous ceux qui osent s’aventurer dans les
eaux agitées de la différence. Plus une personne contraste avec
la normalité, moins on tolèrera ses attitudes et ses
comportements. Elle sera bizarre, excentrique ou dérangée. Elle
sera mise à l’écart, peu importe la cause de sa différence.
En
vivant l'handiparentalité avec enfants a besoins particuliés, je
suis toujours en décalé avec la norme. J’y suis imperméable,
je commence seulement depuis quelques années à prendre
connaissance de son existence et de son influence si considérable.
Et elle me terrifie par son manque de souplesse et d’inclusion.
Ce qui est conçu comme normal : se faire des amis, posséder
la plus grande résidence du quartier, suivre la mode du moment
avec grâce, dire le mot juste au bon moment et taire certaines
pensées légitimes par souci de l’image de soi, être la maman
d'enfants qu'on invite aux anniversaires tout cela est le
contraire de moi. Je vis toujours en différé, comme une émission
en reprise de sa diffusion originale, rejouée plus tard au cours
de la semaine, tard dans la nuit, aux heures de faible écoute.
Quand
je regarde le monde autour de moi, il y a des moments fréquents
ou je me sens correcte et où j’ai l’impression que c’est la
société autour de moi qui ne l’est pas, un peu comme cet ami
qui a des cheveux longs, avec son air décontracté et depuis son
adolescence se défend avec cette expression : « les
cheveux ça se coupent mais la connerie, nous pouvons pas la
couper », Cette société faite de paradoxes flous, injustes
et compliqués pour rien. Imaginez de vivre dans un monde où tout
est prévu pour les personnes en situation de handicap et vous
valide, vous serez à votre tour en situation de handicap car rien
n'aura été prévu pour vous, La différence n’est-elle pas
mieux que la normalité dans la mesure où elle apporte un
éclairage plus clair et nouveau sur les vieilles tendances qui
sont dépassées? Et si chacun au lieu de chercher à se conformer
cherchait à se différencier et uniquement pour de bonnes
raisons. Ainsi on pourrait espérer aboutir à plus de tolérance.
Et on verrait que le monde, au-delà de la normalité et de la
prévisibilité, a beaucoup de nouveautés multicolores à offrir.