vendredi 25 novembre 2016

Il veux tout faire seul

Demander de l’aide, ça parait simple, mais pour mon fils, c’est impossible. Je ne sais pas si c’est lié à l’autisme, mais au vu des différents témoignages que j’ai pu entendre ou lire, il s’avère que de nombreuses personnes avec autisme ont vraiment du mal à appeler au secours ou tout bonnement à demander de l’aide. Alors il faut que je vous raconte ce qui c’est passé il y a quelques jours :


Avec l’autisme, rien n’est jamais linéaire. Bien sûr, on mesure les progrès au fil du temps, mais en 13 ans, je n’ai jamais vu  mon fils progresser lentement, naturellement, au même rythme : tout s’est toujours fait par paliers, avec parfois de longues périodes où il ne se passait rien – et c’est là qu’il ne faut surtout pas baisser les bras ou s’imaginer le pire. Et hier, c’est avec fracas que mon fils a sauté deux paliers, ou débloqué deux verrous si vous préférez. Je dis fracas car cela s’est fait non sans mal, ça a été dur, vraiment difficile et douloureux pour lui (et par ricochet, pour moi aussi).
C’était donc hier après-midi. Après avoir fait ses devoirs,  Logan me dit qu’il va faire un truc dans le bureau. Pendant ce temps, je reste avec ma fille au salon. Au bout de deux bonnes heures, je l’entends jurer, crier, se mettre en colère alors je vais le voir et là, il m’explique que ça fait 2 heures qu’il est sur ce truc, et que ça ne marche pas, il est vraiment hors de lui. Je lui demande alors pourquoi il ne m’a pas appelé, mais il me dit que non, il veut tout faire tout seul.
Je le mets alors devant ses contradictions : il veut tout faire tout seul sauf qu’il vient de perdre deux heures et qu’il n’y arrive pas et que là, tout de suite, je suis là et que je peux l’aider. Je lui tends une perche monumentale pour qu’il me demande de l’aider mais non, rien ne sort : il argumente comme quoi ça ne marche pas et qu’il veut se débrouiller seul car dans la vie on doit faire tout tout seul.
Je vois qu’il se calme un peu donc j’insiste un peu en lui rappelant que je peux l’aider et là, il recommence à s’agiter, à s’énerver, et à bout d’arguments il part de la maison en claquant la porte. Autant vous dire que je ne suis pas rassurée du tout du tout du tout et je retiens ma respiration. Je l’entends faire le tour de la maison, et le vois revenir.
Le premier verrou vient de sauter.
C’est la première fois que je vois mon fils se calmer tout seul et aussi vite. En 13 ans. J’en ai encore les larmes aux yeux quand j’y pense : il y a encore quelques mois, c’était un véritable problème, il était capable de « mouliner » pendant des heures sans arriver à se calmer. Et là…. wouawh ! Ca a pris 2 minutes. Seulement 2 minutes ! Je l’ai félicité, lui aussi était content de voir qu’il y était arrivé seul, il était aussi surpris que moi ! Du coup on s’est assis tous les deux et on a recommencé à discuter.
Je lui ai expliqué que personne, dans la vie n’arrivait à s’en sortir seul : quand un bébé nait, ses parents lui donne le lait pour le nourrir ; plus tard, ils lui tiennent les mains pour lui apprendre à marcher, puis à l’école, les enseignants lui apprennent à lire et à écrire; devenu jeune adulte, quand il se lancera dans la vie active, au début dans son premier travail, il aura besoin d’un chef pour lui apprendre les ficelles du métier; et moi-même encore aujourd’hui, je demande de l'aide et je n'en suis pas toujours fière
Je crois qu’il a compris car… il m’a dit  » Est-ce que tu peux m’aider ? » .  Le deuxième verrou a sauté. Alors ensemble, on a passé du temps à regarder son problème, et on y est arrivé. Je l’ai laissé finir seul, mais au bout d’une heure, il m’a redemandé de l’aide, parce qu’il n’y arrivait pas. J’y suis retournée, et j’ai fait marcher son truc, puis je suis partie.
Une demie heure plus tard, je l’ai entendu hurler : « WOOOOOOOO I AM THE BEST, I AM THE KING OF THE WORLD ! » Il était super content, il avait réussi. Parce qu’il avait demandé de l’aide. 
Alors voilà, au bout de 13 ans, mon fils a appris à se calmer seul et à demander de l’aide. C’est un progrès considérable, incroyable !
Je me suis alors rappelé que pendant des années, mon fils n’avait pas vraiment eu à demander de l’aide, vu que nous essayions toujours de devancer ses besoins,  je  ne l’a pas élevé dans cette culture d’appeler à l’aide si nécessaire. En effet, cela implique déjà d’être autonome, de pouvoir faire les choses seul, puis si besoin d’appeler quelqu’un à la rescousse. Maintenant je me rends compte que je ne lui ai pas rendu service, Si je lui avais lâché la bride plus tôt, j’aurais pu le rendre d’avantage autonome.